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  • : Chronique du choc entre les nations libres et qui tiennent à le rester, et le mondialisme ravageur qui cherche à les soumettre.
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15 juin 2011 3 15 /06 /juin /2011 19:31

 

La campagne électorale des élections législatives en Turquie a révélé un pays de plus en plus divisé entre une élite laïque, cultivée et profondément kémaliste, notamment dans les grandes villes, et le petit peuple d'Anatolie, plus modeste et conservateur. C'est cette classe populaire qui triomphe ce soir avec la victoire de l'AKP et de son chef, le bouillant Recep Tayyip Erdoğan, tandis que les laïcs et les nationalistes assistent à l'échec relatif du CHP (social-démocrate) et du MHP (nationaliste). L'AKP, au coeur de la campagne électorale, est un parti qui suscite les passions les plus vives; ses partisans voient en Erdoğan un chef charismatique et courageux, ayant redressé la situation économique du pays; pour ses adversaires, il n'est qu'un dangereux démagogue, aux tendances islamistes et dictatoriales. Et si, dans le fond, Recep Tayyip Erdoğan n'était qu'un banal représentant d'une droite qui, de Nicolas Sarkozy à James Cameron, s'est révélée plus efficace en termes de communication que de défense de l'intérêt national?


Les raisons d'un succès


Issu de la mouvance islamiste, l'AKP dirige la Turquie depuis 2002, ce qui est long, mais pas plus que le règne de Vladimir Poutine en Russie... ou de l'UMP en France. C'est avant tout à la prospérité économique de la Turquie sur la dernière décennie que le parti doit sa popularité. Le pays a bien évidemment bénéficié de circonstances extérieures favorables, mais la libéralisation de l'économie entamée par l'AKP et la défense de l'innovation semblent bien avoir bénéficié, à moyen terme, à l'économie turque, en pleine croissance. Ce développement économique sans précédent s'est de plus accompagné d'une revitalisation des infrastructures: transports, communications, urbanisme: il n'est pas un domaine qui n'ait connu d'importante progression depuis les années 2000. Il n'est que de voir la spectaculaire transformation d'Istanbul, dont Erdoğan fut d'ailleurs maire un temps, et qui ne ressemble en rien à la ville qu'elle était en 1980. 

Or, comme aux Etats-Unis, c'est avant tout l'économie qui décide l'électorat turc; en ce sens, bien des votants, en donnant leur voix à l'AKP, se sont contentés de récompenser un honorable bilan économique. Il est à noter que ce domaine est d'ailleurs un des points forts des partis de droite en Europe depuis plusieurs décennies. 


 

 

 

Si la Turquie peut se flatter d'un beau développement économique, l'AKP reste bien silencieux sur la montée des inégalités, du chômage et de la corruption...

Il serait pourtant hypocrite de nier que les victoires successives de l'AKP traduisent une influence grandissante des conservateurs religieux en Turquie, spécialement dans les zones isolées de l'est, territoires oubliés de la République pendant bien longtemps. A ce niveau, le discours religieux de l'AKP bénéficie d'un boulevard, non seulement parce que les élites laïques ont eu fâcheusement tendance à oublier le petit peuple, ne lui laissant que la religion comme espoir, mais aussi parce que les militaires turcs, garant de la laïcité, n'ont eux-mêmes jamais hésité à jouer sur le facteur religieux lorsque leurs intérêts étaient en jeu. 

Mais la grande habilité du parti réside dans son absence d'extrémisme. En ce sens, il est absurde de comparer l'AKP avec les intégristes syriens ou saoudiens. Le parti joue au contraire la carte des droits de l'homme et des libertés individuelles pour faire triompher des idées religieuses, sachant très bien s'attirer les suffrages des musulmans les plus conservateurs, tout en rassurant les élites libérales. 


Enfin, une des grandes réussites de l'AKP, probablement celle que l'on peut le plus saluer, est la réorientation de sa diplomatie. Sous l'influence du très intelligent Ahmet Davutoğlu, l'AKP s'est ainsi progressivement détaché de l'alliance américaine, et surtout israélienne, qui n'avait jamais été acceptée par une partie de la population. La politique de bonnes relations avec l'ensemble des voisins de la Turquie (réconciliation avec l'Arménie et la Syrie, rapprochement avec la Russie, médiation entre l'Iran et l'Occident...), mais également avec plusieurs nations émergentes (du Brésil au monde arabe), a permis au pays de devenir un acteur régional incontournable. De plus en plus, la Russie, l'Iran, apparaissent comme des partenaires de substitution à des Etats-Unis qui agacent et une Union Européenne qui déçoit: toujours la victoire symbolique de l'est sur l'ouest. 

 

 

 

En se rapprochant des puissances voisines, la Turquie a réussi à faire oublier une Union Européenne dont son peuple ne veut plus.

 

 


L'AKP face à la laïcité et au nationalisme


Ces atouts de l'AKP lui ont permis d'acquérir une réelle popularité au sein de l'électorat turc; ils ont rassuré ses partenaires européens, et ont fait du parti un modèle pour les islamistes arabes en quête d'une reconversion démocratique. Mais l'AKP présente le même défaut que les autres partis de droite modernes: à trop parler au peuple, il en oublie la nation; à trop chercher la réelection, il ne défend pas l'intérêt de la Turquie sur le long terme. En cela, Tayyip Recep Erdoğan ne diffère guère d'un Nicolas Sarkozy, d'un James Cameron, d'un Silvio Berlusconi, qui ont oublié que la politique est aussi une affaire de long terme.

 

 

 

Lors des "manifestations de la République" d'avril 2007, des centaines de milliers de jeunes Turcs sont descendus dans les rues marquer leur attachement à une laïcité que l'AKP semble vouloir remettre en cause.

 

 

Le retour du religieux est un bon exemple d'une politique de court terme, dangereuse pour la nation; il est vrai que la Turquie, bien que laïque, se doit de défendre son identité musulmane, tout comme la France ne doit pas oublier ses racines catholiques. Mais le retour à un modèle religieux à l'ottomane serait un véritable danger pour la nation, pour une bonne et simple raison: les élites laïques d'Izmir, d'Ankara, d'Antalya, et dans une moindre mesure, d'Istanbul, ne l'accepteront jamais. Ces filles n'accepteront jamais de devoir remettre le voile. Ces hommes n'accepteront pas le renoncement à l'alcool, ou le filtrage d'internet. 

De telles mesures ne sont pas au programme de l'AKP. Mais le flou qu'il maintient contribue à créer des tensions, à attiser le caractère revendicatif des religieux, et à inquiéter les laïcs. Et la religion fut si souvent à l'origine de guerres civiles que l'AKP devrait en tirer les leçons et immédiatement cesser un jeu qui pourrait devenir dangereux. 


En réalité, c'est le modèle nationaliste qui est remis en cause par le parti. Tout en proclamant que "l'assimilation est un crime contre l'humanité", une phrase d'une rare bêtise, la Turquie d'Erdoğan ne s'est guère ouverte aux populations alévies, assimilées depuis longtemps. Par contre, en soufflant le chaud et le froid sur la question kurde, l'AKP risque de provoquer un dangereux conflit. Alors qu'il eût fallu faire bénéficier les populations kurdes de la croissance économique tout en combattant tout séparatisme, l'AKP a préféré encourager l'autonomisme tout en maintenant les Kurdes dans une misère absolue: un coktail mortel pour l'unité de la Nation!

Par ailleurs, le parti milite depuis longtemps pour l'entrée de la Turquie dans l'Union Européenne; or, on sait à quel point cette union est hostile à l'étatisme, au nationalisme, au laïcisme, au populisme, bref, aux piliers du kémalisme, et plus globalement de la Turquie moderne. 


Enfin, le bilan du parti est également terni par des affaires de corruption graves, par la montée des inégalités, ainsi que de la censure et de la répression contre les journalistes, certains craignant même que l'AKP ne cherche à établir un pouvoir dictatorial sur le pays. Des craintes sûrement exagérées, mais qui s'appuient sur des faits troublant...

 

 

 

L'ampleur des manifestations de l'opposition, ici à Izmir, montre bien l'inquiétude que provoque l'AKP chez une partie de la société turque.

 

 


L'AKP: un parti libéral comme un autre


En fin de compte, ce serait une erreur de diaboliser, ou au contraire d'encenser, l'AKP. Terrifiant pour certains, efficace pour d'autres, il est en réalité un parti de droite libérale comme toute l'Europe en connait. Démagogue mais sachant parler au peuple. Libéral en économie, mais réactionnaire en terme de moeurs. Médiatisé et très doué pour les élections; mais dangereux, à long terme, pour l'avenir de la nation. Non pas parce qu'islamiste, mais par manque d'étatisme.

Face à un tel parti, seule une opposition nationaliste, laïque, regroupant l'ensemble des citoyens (y compris les alévis et les Kurdes), et surtout, capable de parler directement au peuple, aurait une chance de remettre la Turquie sur les rails du kémalisme. Autant dire que ni le CHP ni le MHP ne semblent faire l'affaire pour le moment...

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